Cela avait été une longue journée pour Harisson. Bien sûr, c’était prévisible. Depuis un mois déjà, il avait repoussé des réunions avec ses investisseurs, car il détestait rester dans un bureau pour tenter de convaincre d’autres personnes que son entreprise, son bébé, était l’hôte de l’idée révolutionnaire qui allait leur faire gagner des cents et des milles. il en était lui-même convaincu et était assez bon orateur, là n’était pas le problème. Mais discutailler pendant des heures l’ennuyait profondément. Et à force de repousser, il se retrouvait à devoir le faire toute la journée. Il avait trop tardé pour se permettre de repousser encore une fois certains rendez vous. Il avait donc choisi de tout prévoir le même jour, et de faire cela aussi vite que possible. Faire durer le supplice le moins possible.

Et quand son dernier rendez vous eut quitté son bureau, il poussa un soupir d’aise. Voila une bonne chose de faite. Il resta un temps assis sur sa chaise, savourant le plaisir de voir cette dure journée enfin terminée. Puis il jeta un œil à sa montre. Ce dernier rendez-vous n’avait pas été aussi long qu’il ne l’aurait pensé. Il mit rapidement en ordre ses dossiers et sorti de son bureau, sous le regard interrogateur de sa secrétaire. Il était vrai qu’il avait l’habitude d’être l’un des derniers à quitter le travail, habituellement. Mais une fois n’était pas coutume. Et il avait estimait avoir suffisamment donné pour se le permettre.

Il rentra donc rapidement chez lui et alluma sa télévision. Cela faisait tellement longtemps qu’il avait perdu la télécommande de celle ci qu’il ne s'embêtait même plus à la chercher. Il ne doutait pas qu’un jour, elle referait son apparition. D’ici là, il avait d’autre moyen de faire ce qu’il voulait. Ce n’était pas tout à fait conforme à la règle qui voulait que la magie ne devait pas servir les intérêts personnels, mais il avait d’autres chats à fouetter. Mais rapidement, les images qui défilaient devant ses yeux l’ennuyèrent. Il n’était définitivement pas fait pour rester sur place. Il choisit donc de se changer pour mettre une tenue plus décontractée et d’avaler un repas rapide.

Un fois que cela fut fait, il remonta dans sa voiture. L’heure de pointe correspondant aux sorties de travail était largement passée, et la circulation dans San Francisco était agréable, à défaut d’être totalement fluide - San Francisco restait San Francisco. Il se dirigea vers un night club qui faisait partie des plus réputés de la ville, et qu’il avait déjà fréquenté plusieurs fois : le P3.
Il gara sa voiture dans le parking qui était à disposition des clients et se dirigea vers l’entrée. Une fois à l’intérieur, il sourit. Il aimait l’ambiance festive qu’il y avait dans les endroits de ce genre. Toutefois, il regrettait de ne pas avoir pris de cocaïne avec lui. Immanquablement, les soirées lui donnaient envie de consommer. Et si sa dernière prise ne datait que de quelques heures - dans son bureau, entre deux rendez-vous - et que l’envie n’était pas pressante, il aurait aimé en avoir sous la main. Juste pour se détendre.

Pour oublier sa frustration, Harisson se dirigea vers le bar. Il s’apprétait à commander lorsqu’il remarqua une jolie blonde. Il raccrocha un sourire sur son visage et s’approcha d’elle :

« Puis-je me permettre de vous offrir un verre ? »

L’approche était des plus classiques, mais c’était celle qui passait en général le mieux dans ce genre d’endroit. Il ne restait donc plus à Harisson d’attendre la réponse de la blonde.

La blonde affichait un sourire rayonnant, qui allait d’ailleurs très bien sur son joli visage. Pendant un temps, Harisson crut même qu’elle allait accepter sa proposition. C’était ce qu’il se passait en général, et un sourire aussi franc accompagnait rarement un refus. Toutefois, la réponse de l’inconnue fut assez surprenante. Et plus intéressante, aussi. Elle lui demandait de la persuader, ce qui fit s’élargir le sourire du jeune homme. Beaucoup auraient reculé devant l’obstacle, d’autant qu’il y avait un tas d’autres filles dans le club.

Mais Harisson n’était pas du genre à se laisser impressionné et à faire machine arrière devant les difficultés. Au contraire, la demande de la jeune femme lui donna encore plus envie de passer une partie de la soirée avec elle. Elle représentait un défi. Il aimait relever les défis. C’était aussi simple que cela. De plus, elle n’avait pas tort sur le fait qu’il était charismatique. Il avait passé la journée à convaincre de parfaits inconnus de lui donner de l’argent. A coté, persuader une personne d’accepter un verre de sa part semblait simple.

« Et bien... Si vous acceptez le verre que je vous offre, je nous en commande un chacun, et durant le temps que nous prendront pour les boire, nous pourrons avoir un discussion, et faire connaissance. Connaître une personne de plus peut toujours être un avantage. Personnellement, j’ai envie de vous connaître. Et qui sait ? Vous trouverez peut-être que je suis quelqu’un de très intéressant. »

Il ponctua sa dernière phrase d’un léger haussement de sourcil et d’un petit rire. Il n’était pas vraiment du genre à se vanter, et là n’était pas vraiment le but de ses mots.

« Sinon, si vous estimez que je suis de terriblement barbant et ennuyeux, rien ne vous empêche de garder le verre et de couper court à la discussion. Une boisson n’engage à rien : ce n’est pas un contrat. Cela vous mènerait donc à la même situation que refuser le verre et arrêter de me parler, excepté que vous aurez un verre gratuit en plus. Vous serez donc gagnante dans ce cas aussi. D’autant que vous ne vous laisserez pas le temps de juger si je suis intéressant ou non si vous ne discuter pas avec moi. Passer à coté d’une opportunité sans la prendre alors qu’elle ne coûte rien, je trouve cela dommage, personnellement. »

Harisson ne mentait pas. Il aimait en effet prendre les opportunités qui se trouvaient sur son chemin dès que cela lui était possible. Et jusqu’ici, il ne pouvait pas vraiment dire que cela ne lui avait pas réussi. Peut-être qu’un jour, sa chance tournerait, mais, en attendant, il continuerait à saisir les occasions qui se trouvaient sur son chemin.

« Enfin, il y a une dernière possibilité, où vous refusez le verre mais pas la discussion. Et on se retrouve au cas précédent, avec un verre en moins. Je serais contrarié, mais je m’en remettrais. »

C’est ainsi qu’il terminait sa tirade, en riant légèrement, histoire que son interlocutrice comprenne que la contrariété dont il parlait était exagérée. Il espérait que son discours plaisait à la jolie blonde, qui semblait toujours en train de l’écouter.

Le sorcier venait à peine d’allumer ses phares lorsqu’il entendit le bruit de la portière, à coté de lui. Une personne était entrée dans sa voiture. C’était bien d’avoir le verrouillage automatique des portes, mais si celui-ci ne se mettait en marche que lorsque la voiture était en mouvement, cela ne servait à rien. Principalement contre mademoiselle Blonde-hystérique. Melle Blonde-hystérique, qui, non contente de l’avoir fait viré du club, s’invitait dans sa voiture. Et qui s’appelait Naomie. Il la regarda un long moment, hébété.

Comment osait-elle entrer, sans avoir été invitée, dans son véhicule. Il pouvait accepter qu’elle l’ai forcé à lui faire un petit discours. C’était mignon. Ça ne le dérangeait pas tant que cela de se retrouver à la porte du P3 sous le coup d’une de ses lubies. Il avait vu pire. Mais qu’elle s'introduisse, comme ça, dans son espace vital ? Elle était clairement dérangée ! Ou alors, sous l’emprise de substance hallucinogène bien puissante. Il la quitta du regard, et regarda devant lui, où, un peu plus tôt, il avait aperçu le dealer. Il respira un bon coup pour se calmer. ce n’était pas des plus efficaces, comme réaction, mais vu qu’il n’avait pas mieux, il devrait faire avec. Il essaya de se raisonner. Après tout, beaucoup d’hommes, à la place d’Harisson, se considérerait chanceux d’avoir une aussi jolie créature à leur coté dans la voiture, qui leur proposait du champagne. Aussi psychotique soit-elle.

Quant à elle, Naomie avait l’air fière d’elle. Heureuse. Le sorcier la regarda à nouveau, tout en haussant un sourcil.

« Si je comprends bien, vous n’acceptez pas les verres de la part des inconnus, mais vous n’avez aucun problème à monter dans leur voiture... »

Ce n’était pas une question, mais plutôt une simple remarque. Après tout, Naomie aurait pris moins de risques en acceptant le verre qu’il lui proposait que ce qu’elle venait de faire. Si le sorcier avait été un violeur, il lui aurait suffit de verrouiller les portes pour que la jolie blonde se retrouve entièrement piégée. Et il aurait été probable que personne ne remarque ce qu’il se passait. Mais, heureusement pour elle, Harisson ne couchait qu’avec des femmes consentantes. Il n’agissait pas toujours comme un gentleman, mais il n’était pas un criminel.

« Je vous dépose quelque part, mademoiselle Blonde-hystérique ? Enfin, Naomie. Pardonnez-moi. L'hôpital psychiatrique le plus proche, je suppose ? »

Il ne pensait pas vraiment avoir affaire à une évadée de l’asile, mais il ne voyait pas vraiment où elle voulait en venir en entrant dans sa voiture. Était-ce sa manière de lui dire de la ramener chez elle ? Ou, mieux, chez lui ?

Apparemment, non seulement Naomie avait non seulement une tendance à l'hystérie mal placée, mais elle était aussi susceptible. Si Harisson avait eu ne serait-ce qu'un quart de son irritabilité, la situation aurait été bien différente. Déjà, il l'aurait probablement mise à la porte de sa voiture. Le sorcier estimait qu'il réagissait plutôt bien, si on prenait en compte le fait que la blonde l'avait fait éjecter d'un de ses clubs préféré. Au lieu de cela, le comportement absurde de la jeune fille la rendait, en un sens, beaucoup plus attirante aux yeux du sorcier. Il était apparemment attiré par les filles mentalement instables. Génial.
Et maintenant, elle se permettait de prendre la mouche parce qu'il avait fait de l'humour. Cela fit apparaître un sourire moqueur sur le visage d'Harisson. Etait-elle vraiment sérieuse ? Il pouvait comprendre qu'une personne normale se vexe, mais il ne s'était pas attendu à ce qu'elle réagisse comme ça. Elle qui était, clairement, tout sauf normale. Il la regarda s'éloigner de la voiture qu'elle venait de quitter, sans vraiment savoir quoi faire.

La sagesse voudrait qu'il s'éloigne gentiment, et aille dans un autre club de la ville, ou qu'il retourne chez lui. Et qu'il ne pense plus à ce ridicule incident. Une part de lui, toutefois, voulait démarrer en trombe et rouler sur cette petite blondinette qui était si agaçante et impertinente. Ce qui pouvait sembler un peu excessif. Mais, une dernière part de lui, celle qui parlait le plus fort, voulait la rattraper et tenter de rattraper le coup. Qu'avait il à y perdre ? Soit cette fille le voyait déjà comme un looser, auquel cas il n'allait pas empirer son cas, soit il avait encore une chance. Et si c'était le cas, il comptait bien la saisir.

Il saisit la bouteille que la jeune femme avait laissé sur le siège passager, et ouvrit la portière. Il s’avança de quelques pas, suffisamment pour être poli, et assez peu pour ne pas passer pour un pervers qui allait la suivre jusque chez elle s'il se faisait rembarrer une fois de plus. Il l'appela.

« Naomie ! Ecoute, je pense qu'on n'est parti sur un mauvais pied. Un très mauvais, même, probablement. Je suis désolé. On devrait recommencer à zéro. »

Il n'était pas vraiment sur que c'était à lui de s'excuser, vu la situation, mais il n'allait pas chipoter. Et surtout, il n'allait pas s’arrêter sur le fait qu'elle l'avait insulté et qu'elle avait insinué que, sans elle, il passerait la soirée seul. Lui savait très bien que, s'il ne le voulait pas, ce ne serait pas le cas. Sans attendre de réponse de la part de la jolie blonde, il continua, changeant instantanément de ton et faisant mine de ne - presque - pas la connaitre.

« Bonsoir, je m'appelle Harisson. J'ai une bouteille de champagne qui est mystérieusement apparue dans ma voiture, et vu que je ne suis pas un alcoolique qui boit seul dans son coin, je cherche quelqu'un pour la partager. Intéressée ? »

En prononçant ces derniers mots, il montra la bouteille de champagne que Naomie avait - volontairement ou non - laissé dans sa voiture en la quittant.

Harisson proposait de reprendre la rencontre à zéro, et apparemment, Naomie prenait cette demande au pied de la lettre. Tellement, d'ailleurs, qu'elle lui servit exactement la même réponse que précédemment. Il sourit. La persuader ? Ce serait probablement aisé, mais la blonde n'avait pas eu l'air d'y être très sensible à l'intérieur du club. Il n'y avait aucune raison rationnelle pour qu'elle y soit plus sur le parking. Et il n'avait pas vraiment envie de jouer à un jeu qu'il savait perdu d'avance.

Elle voulait jouer avec lui ? Habituellement, il n'avait rien contre cela, mais, habituellement, c'était toujours lui qui fixait les règles. Et, contrairement à Naomie, il ne s'amusait pas à les changer quand bon lui semblait. La blonde avait beau être attirante, il n'était pas du genre à se laisser faire. Enfin, pas trop longtemps, en tout cas.
Il la regarda donc un long moment, réfléchissant pour savoir si, oui ou non il allait à nouveau rentrer dans son jeu.

« Non. »

Sur ce simple mot, il remonta dans sa voiture, et referma sa portiere. En appuyant sur un bouton, il verrouilla la voiture de façon à ce que la fille ne puisse y entrer à nouveau. Une fois que cela fut fait et qu'il eut posé la bouteille de champagne à coté de lui, il fit avancer le véhicule de quelques mètres, et en ouvrit la fenêtre du passager avant, qui se trouvait désormais au niveau de Naomie.

« Maintenant, si toi, tu veux me convaincre, je t'en laisse une chance. Sinon, je pense que j'ai mieux à faire ailleurs. »

C'était vrai, il s'amuserait plus dans un autre club que dans un parking, à discuter avec une hystérique. Mais, d'un autre coté, il préférait commencer par renverser les règles du jeu de la jolie blonde. Il voulait lui montrer que, au final, c'était lui qui définissaient les règles, dans cette partie, et non elle. Et si, jusque là, la règle avaient été de suivre celles dictées par la jeune fille, elle allait brusquement changer.

Restait à savoir comment elle y réagirait.

En voyant la blondinette se pencher vers la fenêtre qu'il venait d'ouvrir, Harisson se demanda un instant ce qu'il allait faire si elle tentait de le convaincre, comme il le lui demandait. Il pensa un instant qu'il pourrait lui rendre la monnaie de sa pièce. La planter là, sur le parking, sans qu'elle comprenne ce qu'il lui prenait. Toutefois, il trouvait ce genre de revanche bien puéril. Et s'il avait bien des défauts, la puérilité n'en faisait pas partie. Il pencha donc pour la solution de lui laisser une chance, si elle le souhaitait. Principalement parce qu'il voulait comprendre son comportement. Il ne croyait pas qu'elle était juste folle, mais il se demandait comment quelqu'un de sain d'esprit pouvait agir de façon aussi imprévisible. Dans sa tête, même s'il connaissait désormais son prénom, Naomie était encore mademoiselle Blonde-hystérique. Mais il ne savait pas si c'était parce qu'elle était idiote ou s'il y avait une logique qui se cachait derrière ce comportement.

Peu après s'être penchée, la blonde éclata de rire, et lui souhaita une bonne nuit. Clairement, elle ne voulait pas la passer avec lui. Tant pis. Elle ne savait pas ce qu'elle perdait, dans l'histoire. Ce n'était pas lui qui allait se plaindre. Elle l'aurait rendu fou s'il avait du la supporter toute la soirée. Et il tenait quand même un minimum à sa santé mentale. Plus qu'à une fille somme toute assez quelconque rencontrée dans un bar. Des comme elle, il en croisait partout où il allait. A la différence qu'elles étaient souvent plus docile.

Sans un mot, il remonta la fenêtre passager et mit la radio. Il attendit toutefois que la jeune fille se soit éloignée pour redémarrer. Il n'était pas complètement imprudent. Il n'accorda plus un regard à Naomie. A vrai dire, il ne la regretterait très probablement pas. Il y avait toutes les chances qu'il croise quelqu'un d'autre dans le prochain club dans lequel il irait. Dans cette histoire, la seule chose qui le perturbait, c'était de savoir si le videur se souviendrait de lui la prochaine fois qu'il viendrait. Il ne voulait pas devenir personna non grata dans l'un des clubs plus populaires de la ville.

Alors qu'il quittait le parking, la radio diffusa un spot de prévention routière, comme trop souvent à son gout. Le slogan, il le connaissait par coeur. Boire ou conduire, il faut choisir. Il regarda la bouteille, sur le siège passager à coté de lui. Elle était ouverte, clairement. Pourquoi se priverait-il ? Au moins, l'hystérique avait eu du bon. Tenant le volant d'une main, il attrapa la bouteille de l'autre et, sans quitter la route des yeux, en avala de longue gorgée, faisant exactement le contraire de ce que la radio lui préconisait.